Tchornobyl, chronique des semaines difficiles par Lubomir Hosejko
La projection de « Tchornobyl, chronique des semaines difficiles » (en vf) au ciné- club ukrainien mardi 9 avril 2013, à 19 heures. Entrée libre.
La projection sera suivie d’une intervention de Galia Ackerman, écrivaine, historienne et journaliste, auteure de « Tchernobyl : retour sur un désastre » (Folio Gallimard, 2007)
Tchornobyl, chronique des semaines difficiles :
Titre originale : Чорнобиль. Хроніка важких тижнів.
Production : Ukrkinokhronika, 1986, 52 mn, nb/coul.
Scénario : Volodymyr Chevtchenko
Réalisation : Volodymyr Chevtchenko
Photographie : Victor Kriptchenko, Volodymyr Tarantchenko, Volodymyr Chevtchenko, Volodymyr Koukorentchouk, Igor Pyssanko, Anatoliï Khymytch
Son : Lev Riazantsev
Genre : documentaire
Récompenses : Médaille d’or Alexandre Dovjenko (1986) ; Diplôme d’honneur, Festival International de Moscou (1987) ; Prix Perle noire, Festival du film méditerranéen de Pantelleria (1987) ; Prix Spécial, Festival international du film documentaire de Cracovie (1987) ; Prix Spécial, Festival Pansoviétique (Tbilissi, 1987) ; Prix d’État de l’URSS à Volodymyr Chevtchenko (posthume), Victor Kriptchenko et Volodymyr Tarantchenko (1988) ; Prix Nika de la meilleure photographie à Volodymyr Chevtchenko (posthume), Victor Kriptchenko et Volodymyr Tarantchenko (1989).
Tchornobyl, chronique des semaines difficiles est le premier documentaire ukrainien sur la catastrophe nucléaire de Tchornobyl, survenue le 26 avril 1986. Dès le 14 mai, lorsque Gorbatchev déclare la situation sous contrôle, les autorités laissent les cinéastes pénétrer dans la zone interdite. Les équipes du réalisateur Volodymyr Chevtchenko et de Roland Serhienko sont les premières sur le site. Remarqué par son documentaire sur le voyage de Gorbatchev en Ukraine en 1985 Avec le Parti, avec le peuple, Chevtchenko est le mieux placé et le plus à même de se lancer dans la fournaise comme simple cinéaste réserviste parmi les liquidateurs du rang ou appelés. Jusqu’au mois de septembre, il tourne avec ses fidèles cameramen Victor Kriptchenko (ce dernier avait filmé l’inauguration de la centrale lors de sa mise en service en 1977), Volodymyr Tarantchenko, Volodymyr Koukorentchouk, Igor Pyssanko et Anatoliï Khymytch, ne rentrant à Kiev que certaines nuits pour les travaux de montage, rendu difficile faute de plans concernant les premiers jours de la catastrophe. Franchissant les protections en béton, il lui arrive de prêter son épaule à la caméra du cadreur ou de la brandir lui-même devant le mastodonte.
Il filme le ballet des hélicoptères, le réacteur détruit, en plongée verticale, les robots inopérants sur le toit jonché de graphite où les compteurs Geiger crépitent comme des pistolets-mitrailleurs, la construction du sarcophage où gît le corps de Valeriï Khodemtchouk, en service la nuit de la catastrophe. Il photographie les fameux robots verts, recrues envoyées de force vers une mort certaine, les donneurs de sang et de moelle épinière, la terre que l’on ensevelit, les maisons, les puits, les forêts, le drapeau rouge qui flotte au-dessus du quatrième bloc.
Chevtchenko avoue vivre quelque chose d’unique et rechercher des sensations élyséennes, regrettant de n’avoir pu enregistrer cette luminescence qu’ont vue les premiers témoins. Le film débute en noir et blanc, montrant la désolation, l’évacuation de la population. La radiation n’a pas de couleur, ni d’odeur. Seuls les dosimètres parlent. Puis vient la couleur. La vérité. Le réalisateur veut démontrer de façon absolue que la radioactivité casse les barrières psychologiques et bureaucratiques, le non-dit.
Il fait un film polémique et transparent, assiste aux réunions du Parti où sont dénoncées l’irresponsabilité, la dissimulation de l’ampleur de la catastrophe, l’incurie, la débandade générale. Par la voix du comédien Mykola Olanine, le commentaire d’Igor Malyshevskyi s’en prend aux falsificateurs, aux déserteurs qui n’obéissent qu’à l’instinct de conservation. Devant le Soviet régional de Prypiat, la foule conspue les communistes qui, les premiers, ont pris la fuite. Chevtchenko parvient à grand peine à filmer l’exclusion du Parti d’un des leurs pendant que l’on inscrit un nouveau membre qui se distingua sur les lieux de la tragédie. L’antinomie n’est pas nouvelle dans le cinéma soviétique, mais cette fois-ci terrifiante, assez proche du montage idéologique qu’utilisait Alexandre Dovjenko.
Le 2 octobre, le réalisateur monte à Moscou pour faire avaliser le film qui est accepté sur-le-champ. Mais en Ukraine, le film est jugé trop critique, et l’on essaie par tous les moyens d’empêcher sa diffusion. Après s’être battu contre le réacteur, Chevtchenko se bat contre les instances cinématographiques d’Etat qui bloquent tout. En réalité, tout le monde tremble, oubliant la glasnost. Pendant quatre mois et demi, Chevtchenko bataille avec la commission de censure qui l’oblige à revoir sa copie : il faut refilmer certains plans qui peuvent choquer, montrer impérativement les nouveaux logements pour les personnes évacuées, les réunions de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, insister sur le moratoire appliqué par l’URSS, enlever les séquences de l’exclusion du Parti. Soumises au diktat du lobby de l’industrie nucléaire, le Glavatom, les autorités ukrainiennes montrent leur incurie en matière de décision. Déniant le caractère social, éthique et philosophique du film, le Glavatom exige 152 coupures images/son alors que tout est relaté, analysé, discuté dans la presse officielle, que la chasse aux responsables est lancée et que le documentaire moscovite L’Avertissement passe sans encombre à la télévision.
Refusant toute concession, Chevtchenko trouve enfin le soutien du Goskino, réformé grâce à la nouvelle direction. Les coupures sont minimes bien qu’inacceptables, notamment la séquence enregistrée dans la troisième tranche : 1500 mètres utiles du film obtiennent le visa de sortie.
Le 14 février 1987, à la Maison du cinéma à Kiev, a lieu la première de Tchornobyl, chronique des semaines difficiles, alors que les exigences du Glavatom menacent toujours la liste de montage du film. Le documentaire sort avec plus de quatre mois de retard, avec seulement quatre copies pour toute l’Ukraine. Il sera acheté par 132 pays. Fortement irradié et se sachant inexorablement condamné, Volodymyr Chevtchenko expire le 29 mars 1987. Son combat mortel contre le réacteur, son abnégation de robot humain, frappent les jurys de nombreux festivals. En Italie, au Festival de Pantelleria, l’Association internationale du cinéma scientifique créera le Prix Chevtchenko récompensant la meilleure œuvre sur le thème de l’environnement et de la paix.
Informations pratiques :
Date de projection : Mardi 9 avril 2013, 19 heures
Adresse : ciné club-ukrainien à l’espace culturel de l’ambassade d’Ukraine
22 av. de Messine, M° Miromesnil. Tél. 01 43 59 03 53
Entrée libre
Vous pouvez aussi rencontrer Lubomir Hosejko à la prochaine conférence de l’AFEU qui aura lieu le mercredi 10 avril 2013, au Centre d’Etudes Slaves, Paris 5e, de 18 à 20 h.
Lubomir Hosejko, historien du cinéma, interviendra sur le thème : Commentaires et remarques sur la publication bilingue russo-ukrainienne Alexandre Dovjenko : carnets du journal 1939-1956
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Auteur : Lubomir Hosejko