Un petit aperçu de l’interview avec Lyubomyr Deresh, à Paris ce week-end.
Petit rappel: le club littéraire ukrainien (dirigé par Oksana Mizerak) organise une soirée littéraire (en ukrainien) avec Sofia Andrukhovych et Lyubomyr Deresh, prolongée autour d’un verre et d’une séance de dédicaces, samedi, le 6 juillet à 19 heures à l’adresse suivante: 6, rue de Palestine, 75019 Paris, Métro Jourdain
Ensuite, le 7 juillet, vous avez la possibilité de vous joindre à eux au pique-nique organisé par l’équipe de J’aime l’Ukraine. Si vous souhaitez participez, n’hésitez pas à nous envoyer votre demande à contact@jaime-lukraine.fr.
Je vous propose quelques questions/réponses à/de Lyubomyr traduites en français. Le reste sera publié prochainement sur notre site.
- Les lecteurs français vous connaissent comme l’auteur du roman « Culte ». Est-ce que beaucoup a changé depuis son écriture ? Dans le préface de votre dernier livre « La tête de Jacob », Yuriy Izdryk a noté que le roman est votre propre évolution et pas seulement l’évolution de votre écriture. Est-ce que Lyubomyr Deresh continue à se perfectionner en créant une belle courbe montante et bien proportionnelle ou cette courbe, a-t-elle une autre forme ?
On ne peut pas dire que ma courbe est belle. Je connais des écrivains qui font croître le potentiel de leurs œuvres proportionnellement, avec une élégance, respectant leur image d’un livre à l’autre. Dans ma vie, par contre, des bondissements arrivent plus souvent, et ces bonds n’ont pas l’air très compréhensible si on regarde de côté. On ne peut pas les soumettre au scénario linéaire de changements. « La tête de Jacob » est un exemple de tels changements. Au lieu de me taire pendant cinq ans, j’aurais dû sortir au moins trois-quatre livres et emmener le lecteur vers les sujets et les moyens artistiques que j’ai utilisés dans le dernier texte. Mais la vie ne suit pas toujours nos schémas. Le plus souvent, elle nous pose devant un fait, un fait de la perception. Et il faut des fois des années pour adopter cette perception. Alors, la courbe avance doucement et au moment d’un choc, elle remonte subitement. Comme le pouls 🙂 Le patient est en vie 🙂
- A quel point les héros de vos livres entrent dans votre vie et au contraire ? Qu’est-ce qui suscite et inspire une nouvelle œuvre ? J’ai eu l’impression que le fantôme d’Irène ressemble quelque peu à Amber dans « Dr House » …
Est-ce que vous avez des fois envie de devenir le héros le plus négatif ?
L’écrivain joue d’habitude avec des limites d’esprit qui sont les plus proches au bout de la réalité. C’est l’attirance de la littérature et sa piège, parce qu’il est difficile de distinguer la réalité des fantômes à cette frontière. Cela concerne le plus la capacité de cerner ses héros dans la vie réelle. Si on peut diriger à peu près l’entrée des personnes réelles dans la fable, l’apparition des personnages de fiction dans la vie de l’écrivain voudrait dire qu’il est temps qu’il vérifie son état psychique approprié. Aller voir un psychiatre n’est pas nécessaire, il faut juste se rappeler la provenance de ces images. La pureté et la clarté d’esprit, sont à mon avis les règles de la sûreté pour l’écrivain, la condition de l’écologie de son travail. C’est pourquoi les drogues, l’alcool et autres simulateurs n’ont pas de leur place par là – ils peuvent créer une allusion d’accomplissement d’un but d’au-delà tandis que l’esprit ne fait que jouer à ses propres jeux. Quels que soient les châteaux et les labyrinthes construits par notre propre Dr House intérieur, il faudra en sortir un jour – alors, est-ce que ça vaut le coût de perdre son temps pour des fantômes ?
De quelle manière naît un nouveau livre ? C’est une bonne question. Je doute que quelqu’un connaisse la bonne réponse. Ce sujet de l’embryologie littéraire n’est pas encore développé. Parfois, il y a des choses qui se rencontrent dans l’inconscience, se traversent, et une nouvelle perspective apparaît dans le point de leur intersection. Ce sont deux situations qui sont considérées comme une ligne de l’histoire, c’est une personnalité qui a réveillé dans mon cœur l’envie d’agir, mais en général, c’est un petit miracle qui me fait penser au miracle de la conception d’après sa nature.
Et enfin, concernant le côté sombre de l’écrivain. Jung disait : « Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité ». L’envie de devenir le personnage négatif habite quelque part là-bas, à l’ombre, avec toutes les autres envies. Des fois, l’écrivain est obligé de plonger dans l’ombre à la recherche de son trophée. Des fois, quand il hésite longtemps, la vie le pousse devant. Nicolas Goumilev dans son poème « Le violon magique » – est-ce qu’il a été traduit en français ? (N.de T. – voir ses Poèmes aux éditions du Murmure) – dit : « tu ne sais pas, tu ne sais pas ce que c’est que ce violon, ce que c’est que l’horreur sombre du joueur qui débute ». Ce poème parle de la partie sombre de la création littéraire qui s’ouvrira de toute façon si nous commençons à nous étudier.
- Notez-vous les rêves ?
Que des rêves les plus fantasques. Les dernières années, je dors presque sans rêver et je le prends comme un grand succès dans l’éclaircissement des questions personnelles et sur la vision du monde.
- Nos lecteurs s’intéressent beaucoup aux voyages en Ukraine, à ses modes de transport comme des marchroutkas et des trains, surtout les plus vieux et les plus lents, à l’alphabet cyrillique, si intéressant et si étrange pour eux, à la musique, aux films d’animation, aux traditions, au folklore. Je propose de parcourir nos rubriques et partager ce qui vous est plus proche.
– Ecrivain préféré (ukrainien, français et en général)
Parmi les écrivains ukrainiens, j’aime bien Volodymyr Vynnytchenko, j’aime l’œuvre de Natalia Sniadanko, j’admire la maîtrise de Yuri Andrukhovych et de Yuriy Izdryk. J’ai beaucoup de sentiments envers les œuvres de Serhiy Jadan. Parmi les philosophes, c’est Hryhoriy Skovoroda qui m’est le plus proche –« Merci mon Dieu que t’as fait inutile, tout ce qui est difficile, et facile, tout ce qui est utile » – et Serhiy Datsiouk. J’aime le dernier pour sa clarté de réflexions. Parmi les français, Pascal Quignard et André Gide. Parmi les philosophes, avant, j’admirais René Guénon, et maintenant j’apprécie plus Jean Baudrillard pour l’exploit culturel qu’il a fait.
– Un(e) Ukrainien (ne) célèbre que tout le monde doit connaître
Hryhoriy Skovoroda pour son développement de la thèse des obligations et de la liberté et la duchesse Olga pour son exemple de sainteté qui naît d’après les lois d’honneur.
– Film, dessin animé préféré
Serious man des frères Cohen et le dessin animé Sita Sings The Blues de Nina Paley.
– L’art c’est la possibilité d’être pauvre d’esprit devant la grandeur du Créateur.
– La musique ukrainienne, c’est une beauté qui n’a pas encore trouvé sa bête
– Le plat ukrainien le plus délicieux: koutia
– La fête que vous ne manqueriez jamais, même à l’étranger ? Quel rituel indissociable l’accompagne-t-il ?
Pour moi, la fête la plus grande est de rencontrer la bonne personne. Si j’ai une possibilité de la voir, je ferait beaucoup pour pouvoir parler avec elle. Mon rituel que j’essaye de suivre, est faire un cadeau.
– L’Ukraine pour vous, c’est le calumet de la paix. (N. de T. – en ukrainien, “lioul’ka”, calumet, veut aussi dire « berceau », d’où le commentaire suivant de Lyubomyr – « liuol’ka » dans tous ses sens :))
– Le lieu le plus important en Ukraine, pourquoi ?
La Galicie. Beaucoup de souvenirs chers et liés avec la famille.
– Mots ukrainiens à apprendre à un étranger
Дякую – Diakouyou (merci), Прошу ( prochou, je vous en prie), Будь ласка (boud’ laska, s’il vous plaît)
- Au dernier Salon du livre à Paris, vous avez dit que vous comptiez apprendre le français en quelques mois, y a-t-il eu du succès ?
Malheureusement, au lieu d’apprendre le français, je me suis consacré à l’allemand – mamie, professeure d’allemand au lycée militaire, m’a charmé par ses connaissances.
A suivre…
Інтерв’ю з Любомиром рідною мовою для наших українських читачів
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Source photo accueil:
http://bit.ua/2013/06/lyubko-deresh-ta-serhiy-didkovskyy/
Merci pour la version ukrainophone – très bonne idée de donner l’original et la traduction!