Le 2 avril dernier, l’équipe de J’aime l’Ukraine a assisté à la projection du film au ciné-club ukrainien en présence de la réalisatrice Michale Boganim. Quelques activistes contre le nucléaire étaient également parmi les spectateurs. A la fin de la projection, le président du ciné-club Lubomir Hosejko a gratifié la réalisatrice d’un diplôme et le directeur du Centre culturel ukrainien Oleh Yatsenkivsky l’a élevée au rang d' »une grande dame du cinéma ukrainien ».
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La Terre outragée (Земля забуття), 2011
Réalisation : Michale Boganim
Interprétation : Olga Kourylenko, Andrzej Chyra, Illya Iosifov, Serhiї Strelnikov, Viatcheslav Slanko, Nicolas Wanczycki, Nikita Emshanov, Tatiana Rasskazova, Julia Artamonov, Natalia Bartyeva, Maryna Bryantseva, Vladyslav Akulyonok
Récompenses : Prix du public au Festival du Film d’Angers, Prix du public du 29ème Festival International du Film d’Environnement, scénario lauréat de la fondation GAN.
Il est difficile de rester sans émotions en réalisant la profondeur de cette histoire humaine vécue par les habitants ordinaires d’une belle ville pleine de promesses. Une histoire racontée de l’intérieur, car tous les étrangers, touristes ou fiancés potentiels, resteront en dehors de cette terre et ne pourront jamais comprendre la dévotion pour une ville qui n’existe plus, dans un pays qui n’existe plus, qui n’appartient à personne. No man’s land…
Un film sur l’oubli et le déni: de la catastrophe le jour même et des années plus tard, de la terre (« Tchernobyl » se traduit comme « herbe de l’oubli »), de l’amour insoucieux, de la pluie, … L’eau qui a détruit la vie. Les images des premières pluies battantes impressionnent par le sentiment pesant d’un malheur proche et imminent, inévitable. L’expérience des trois personnages si différents, a la seule chose en commun: le destin brisé et la recherche éternelle, jusqu’à la folie, de cet endroit perdu à jamais, de ce paradis tranquille le long d’une rivière aux eaux calmes et riche en tchornozem (terre noire).
Ania (Olga Kourylenko), guide touristique de la zone, forte et sensible, a pourtant tout pour refaire sa vie, en Ukraine, avec un homme amoureux d’elle comme seuls les Slaves peuvent l’être, jusqu’à la mort, sans aucune obligation, en acceptant toutes les souffrances, ou en France, avec un homme qui aimerait fonder une famille et lui faire oublier les souffrances passées. Alexeï (Andrzej Chyra), apparatchik bouleversé par l’erreur impardonnable de ses collègues, essaye de protéger les habitants ignorants en distribuant les parapluies et des années plus tard, erre toujours d’une gare à l’autre à la recherche d’un train qui l’emmènerait à Pripiat. Valéry, fils d’Alexeï, est en quête de son enfance perdu, de son père qu l’on croit décédé, du petit pommier qu’ils ont planté la veille de la catastrophe. Les trois regards se croisent légèrement, pour quelques secondes…
Mais il y a aussi cette peur générale d’abandonner sa vie, sa famille, être évacué est plus horrible qu’être irradié. Un étrange amour-haine. On a toujours fait croire aux habitants que leur ville est une ville-modèle et rien ne pourra y arriver. La désinformation a pris des proportions énormes au point que la manifestation du 1er Mai 1986 n’a pas été annulée. Et même dix ans après la tragédie, le maire de Slavoutytch (ville à plus de 100 km de Kyïv, créée pour remplacer Pripiat et accueillir les habitants évacués) voudrait transformer Tchernobyl en ville-musée. Ce déni persiste de nos jours, car beaucoup d’Ukrainiens ne connaissent pas la zone, ne veulent pas y aller.
Lubomir Hosejko a bien remarqué la manière dont Michale Boganim a honoré le cinéma ukrainien: les pommes qu’un habitant propose aux touristes, le pommier de Valéry est un écho au film d’Olexandre Dovjenko, la Terre qui a inspiré la réalisatrice, le titre même de la Terre outragée lui en rend honneur.
La radiation est omniprésente, même s’il n’y a pas eu de cadres d’explosion, de mort et d’autres horreurs imaginés; le son monotone de la radiation suit les touristes français en visite. La réalisatrice avoue que l’idée de faire ce film lui est venue après sa visite touristique à Tchernobyl. Après Odessa… Odessa, la Terre outragée parle encore de ce pays qu’elle affectionne particulièrement. Michale Boganim a visionné de nombreux documentaires ukrainiens et ceux de BBC avant de commencer son film, tourné presqu’entièrement en zone grâce aux autorisations précieuses et pas toujours faciles à se procurer. L’équipe a été contrôlée systématiquement sur place, des précautions ont été prises pour protéger le matériel, ne pas toucher aux objets irradiés le plus, comme la grande roue. Le personnel de tournage, majoritairement ukrainien, tout comme Olga Kurylenko, a mis ses souvenirs pour nous transmettre le vécu de la drame en moindres détails.
Un grand merci pour ce film-mémoire de la part de ceux qui ne veulent pas oublier.