Rencontre avec deux jeunes écrivains ukrainiens de voyage à Paris.
Tout d’abord, le club littéraire ukrainien (dirigé par Oksana Mizerak) organise une soirée littéraire (en ukrainien) avec Sofia Andrukhovych et Lyubomyr Deresh, prolongée autour d’un verre et d’une séance de dédicaces, samedi, le 6 juillet à 19 heures à l’adresse suivante:
6, rue de Palestine, 75019 Paris, Métro Jourdain
Ensuite, le 7 juillet, vous avez la possibilité de vous joindre à eux au pique-nique organisé par l’équipe de J’aime l’Ukraine. Si vous souhaitez participez, n’hésitez pas à nous envoyer votre demande à contact@jaime-lukraine.fr
Pour savourer l’avant-goût de la rencontre, je vous propose l‘interview avec Sofia Andrukhovych, écrivaine hors du commun, intemporelle, singulière et intelligente… Un extrait de son livre « Les femmes de leurs maris » traduit en français pourrait bientôt être publié sur nos pages. A suivre.
Propos recueillis par moi-même, traduits de l’ukrainien.
- Sofia Andrukhovych, la fille de Yuri Andrukhovych. Même si ce n’est pas la meilleure présentation pour un écrivain, mais elle permet aux lecteurs français d’avoir une repère, car les œuvres de votre père sont traduites en France. Est-ce que la critique de votre père est importante pour vous? Est-ce que les parents-écrivains se comportent de la même manière que les parents-professeurs, ils sont les plus exigeants et les plus stricts avec leurs propres enfants?
– Je ne peux parler ni de tous les parents, ni de tous les parents-écrivains. Je soupçonne que tout peut arriver. Quant à moi, mon père n’a jamais essayé d’influencer mon choix. Évidemment, le fait que j’ai commencé à écrire, a lié ma vie avec les livres, concerne directement la vie de mes deux parents: sans compter que mon papa est écrivain, j’ai grandi à la bibliothèque où travaillait maman. Je faisais une cabane avec quelques chaises et lisais en écoutant les sons de la salle de cinéma voisine, j’errais entre les étagères des archives situées dans la tour surmontée d’une girouette. Qui est-ce que je pouvais devenir encore? 🙂 Tout cela a fait naître mon écriture instinctive. Les parents me conseillaient de temps à temps des livres, mais leur influence s’arrêtait là.
Mon père me laisse toujours comprendre qu’il me considère comme une collègue de plein droit. Je ne pense pas que j’ai pu rencontrer quelqu’un d’aussi tolérant que lui. Son ouverture et son acceptation des autres est énorme, alors, dès qu’il s’agit de l’art, de l’expression de soi, il est presque impossible d’entendre sa critique. Tout a le droit à l’existence, tout a un sens.
- Croyez-vous que la littérature ukrainienne vaut l’attention du lecteur français? Qu’est-ce qui peut l’attirer? Y aura-t-il des traductions de vos livres en français prochainement ?
– C’est plutôt ma question au lecteur français.
Je n’ai pas pu malheureusement le connaître un peu plus et je n’ai que son abstraite image devant moi. Alors la réponse est simple: toute littérature de bonne qualité mérite l’attention du lecteur de n’importe quel pays.
A force des raisons historiques compliquées, la littérature ukrainienne n’avait pas de chance de se développer d’une manière linéaire, d’augmenter sa masse musculaire, de se cultiver. C’est pourquoi, elle n’est pas assez « entraînée » aujourd’hui. Mais c’est aussi sa qualité: cela donne des possibilités pour plus de naïveté, de souplesse, de fraîcheur.
Beaucoup d’éléments obligatoires qui sont déjà présents dans la littérature française et sont considérés en tant que déterminés (ce qui est ennuyeux des fois), ne sont qu’en train d’évoluer dans la littérature ukrainienne avec du succès variable. Je veux dire par ici la forme (travail minutieux sur la structure du texte, travail avec des données etc) ainsi que le contenu (par exemple, différentes sortes de tabous).
La littérature ukrainienne est une chance magnifique pour le lecteur français de découvrir quelque chose de nouveau, faire un voyage dans un monde parallèle. Et on peut commencer par les auteurs pour lesquels la signification d’ « insuffisamment entraîné » sera inappropriée dans tous les sens: Taras Prokhasko, Yuriy Vinnitchouk, Izdryk, Oksana Zabouzhko, Andrei Kourkov et Youri Andrukhovych déjà mentionné par vous.
Le projet de traduction de mes livres en français n’est pas encore défini.
- Est-ce qu’il est difficile d’être une femme-écrivain (en Ukraine) ? Sentez-vous plus d’exigences ?
Les exigences ne sont pas là pour se plier à elles. Il faut les considérer, mais les directions doivent être différentes.
- D’une certaine manière, l’écrivain est un psychologue et encore plus psychiatre (plus pour lui-même, peut-être). Vous n’avez jamais songé à puiser des histoires dans les notes et les histoires des maladies de ces médecins, tellement riches en sujets croustillants ?
– Non, je n’y ai pas pensé. Pour cela, il faut choisir une spécialisation concrète, mais je ne suis pas prête à me borner ainsi. L’homme m’est intéressant dans toutes ses facettes, ses nuances, commençant par le niveau moléculaire, physiologique et terminant par le spirituel et existentiel ; l’homme-en-soi et l’homme-maillon-de l’univers ; l’homme dans son quotidien et l’homme dans l’histoire universelle. Mais je ne compte pas me limiter à l’homme, comment pourrais-je me dénoncer des objets, des animaux, des conditions atmosphériques, des esprits, des démons et des dieux. Cela ne signifie pas que je compte écrire sur tout ça et que j’ai déjà planifié les œuvres pour les dix ans à venir (nous, les écrivains ukrainiens, avons des problèmes avec de tels projets). Je ne sais même pas ce que je ferai demain, il est probable que j’arrêterai d’écrire. C’est juste pour dire que je ne veux pas me limiter à un sujet spécifique. Cela serait extrêmement triste…
- Qu’est-ce qu’il est le plus important (et le plus facile) pour un écrivain, inventer des histoires incroyables ou juste décrire le quotidien : je me suis réveillé, j’ai mangé, je me suis brossé les dents ?…
– Tout est important et facile quand il y a un sens dans ce que tu fais et quand tu comprends ton but. Ce but-là ne doit pas être trop éloigné : il peut apparaître dans un simple plaisir pour soi-même et les autres, dans le fait de faire quelque chose de beau qui ravivera tes proches et tes éloignés.
- Vos livres sont assez proches du réalisme magique, une sorte de réalisme magique ukrainien où sa partie féminine attire la masculine et devient quelque chose de neutre… Est-ce qu’il est difficile pour un écrivain contemporain de suivre un courant littéraire défini (ou au contraire, ne pas le suivre) sans qu’on le compare à Marquez, Andrukhovych ?..
– Je ne sais pas si c’est difficile car je ne me suis jamais posé de principe de suivre un courant ou de ramer à contre-courant. J’aime nager tout simplement. Pourquoi ne pas nager en compagnie des gens agréables? C’est tellement formidable. On peut apprendre beaucoup de choses.
- Vous êtes une jeune maman, vous n’avez pas pensé à écrire des histoires, des nouvelles ou des contes pour les enfants ?
– Le fait d’être les deux en même temps, mère et écrivain, cela ne suffit pas pour devenir un écrivain pour les enfants, il manque encore un élément important pour produire une réaction alchimique, mais je ne possède pas cette pierre philosophique (ainsi que d’autres nombreuses pierres). Mais cela ne me dérange pas de profiter des œuvres des écrivains vraiment talentueux et fabuleux et de lire leurs livres avec ma fille.
- Une question sur votre collègue : dans une interview pour le magazine « CHO » («Шо»), vous avez caractérisé Lyubomyr Deresh d’ « impudique et profond ». Croyez-vous qu’il se considère comme tel ? Et comment vous pouvez vous caractériser vous-même ?
– A vrai dire, je ne me rappelle pas ce que je voulais dire. Je soupçonne que c’était une blague dans la situation. Peut-être, avais-je choisi des épithètes accidentellement pour perturber le lecteur logique.
Vous avez une merveilleuse chance de demander à Lyubko de se décrire. Je l’écouterai avec plaisir.
Même s’il s’agît encore de se limiter, je pense que cette blague était justement à propos du fait de tout définir.
Alors je ne vais pas me caractériser. C’est plus intéressant comme ça.
- Nos lecteurs s’intéressent beaucoup aux voyages en Ukraine, à ses modes de transport comme des marchroutkas et des trains, surtout les plus vieux et les plus lents, à l’alphabet cyrillique, si intéressant et si étrange pour eux, à la musique, aux films d’animation, aux traditions, au folklore. Je propose de parcourir nos rubriques et partager ce qui vous est plus proche.
– Ecrivain préféré (ukrainien, français et en général)
Il était intéressant de définir une liste d’écrivains français préférés, je me suis limitée aux 5 : Albert Camus, Boris Vian, Jean Genet, Romain Gary, Emmanuel Carrère. Et voilà mes écrivains préférés sans aucun système : Kazuo Ishiguro, Malcolm Bradbury, Margaret Atwood, Ludmila Petrouchevskaya, John Fowles, Edouard Limonov, Henry Miller, Charles Bukowski, Tatyana Tolstaya etc.
– Un(e) Ukrainien (ne) célèbre que tout le monde doit connaître
Volodymyr Ivassiouk, Emma Andievska
– Film, dessin animé préféré
« Foochow » de Mikhaïlo Illenko
– L’art c’est une …. dimension qui fait la vie plus arrondie
– La musique ukrainienne, c’est… Dana Vinnitskaya
– Le plat ukrainien le plus délicieux: borchtch, banouche (plat des Carpates houtsoules, une sorte de polenta avec des lardons, champignons etc et de la crème fraîche), holoubtsy.
– La fête que vous ne manqueriez jamais, même à l’étranger ? Quel rituel indissociable l’accompagne-t-il ?
Les fêtes les plus importantes sont bien sûr, Noël et Pâques. J’adore les « tsvikly » préparés pour Pâques, betteraves râpées avec du raifort. Ils doivent être bien forts et ils sont bons à déguster avec le pain de Pâques sucré avec du raisin sec.
– L’Ukraine pour vous, c’est …. un pays parfait pour apprendre à aimer.
– Le lieu le plus important en Ukraine, pourquoi ?
Ivano-Frankivsk, la ville où je suis née, petite et agréable, confortable et pratique, lente et détendue, située aux pieds des Carpates, ville avec une histoire très riche qu’on peut apprendre dans les rues, les bâtiments, les cours et chez les gens.
– Mots ukrainiens à apprendre à l’étranger
Люблю (lioubliou, j’aime), дякую (diakouyou, merci), дівчинонька (divtchénon’ka, jeune fille, affectif), слухай (slouhay, écoute).
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Інтерв’ю з Софією Андрухович рідною мовою для наших українських читачів (укр)
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Sources photos: life.pravda.com.ua potyah76.org
à quand la Partie2? 🙂
certaines des questions me semblent établir une frontière trop stricte entre « ukrainien » et « français », or un bon écrivain n’a pas de nationalité, il est universel.
Il n’y a pas de frontières à établir en vue, le but est de faire connaissance avec la littérature et les écrivains ukrainiens qui ne sont pas (malheureusement!) assez connus en France.