Ecrivains, acteurs, musiciens, réalisateurs en Ukraine ont leur mot à dire.
Les écrivains et les artistes ukrainiens mobilisent le monde pour dévoiler la situation actuelle dans leur pays et demander le soutien si nécessaire au peuple qui résiste au froid hivernal, aux tortures des Berkuts, aux lois anti-démocratiques et le pire, à leurs compatriotes qui refusent d’admettre l’état critique de révolution qui est en train d’éclater en Ukraine.
Andreï Kourkov, écrivain ukrainien adepte de la fable, est très actif sur sa page Facebook. Membre de PEN International (l’association apolitique d’écrivains défenseurs de la littérature et de la liberté d’expression), il vient de donner hier son interview à The Guardian. Les militants estiment que des mesures doivent être prises « contre un régime qui viole les droits humains, et notamment certains des plus fondamentaux : le droit de vivre et le droit à la liberté ».
Kourkov estime que « l’Europe a abandonné l’Ukraine. L’Amérique est davantage intéressée par de bonnes relations avec Poutine… Le président français est plus stimulé par ses propres problèmes. À part le président polonais et lithuanien, personne ne prend les événements ukrainiens au sérieux. » La filiale de PEN en Ukraine explique sa démarche : « Nous vous appelons à mobiliser vos sociétés démocratiques et accroître la pression sur les gouvernements, afin qu’ils prennent une position plus ferme à l’encontre d’un régime qui mène son pays vers la violence et les effusions de sang. »
*Lire la lettre de PEN International au président Ianoukovitch pour le dialogue pacifique en Ukraine.
Alan Badoev, réalisateur du film Orange love qui parle d’une histoire d’amour lors de la Révolution orange en Ukraine, s’exprime sur sa page Instagram: « Il y avait un moment où ils pouvaient entendre et aimer leur Peuple. Les gens qui sont sortis pour exprimer leur décision résolue. Les gens, fatigués de se plier et fermer les yeux. Il y avait un moment et une chance pour que les loups-garous se transforment en humains. Dès aujourd’hui, c’est le compte à rebours. Le Sang a coulé. c’est inévitable… Le pouvoir faible et stupide approche ta fin! »
Le message de Yuri Andrukhovych aux citoyens européens (22 janvier). Traduit par Liudmyla P.
Chers Amis,
et surtout les journalistes et les rédacteurs étrangers.
Ces jours-ci, plusieurs d’entre vous me demandent de décrire la situation actuelle à Kyïv et en Ukraine en général, ainsi que mon évaluation des événements et une vision du futur proche au moins.
Etant donné que je ne pourrais physiquement pas écrire un vaste article analytique pour chacun d’entre vous en personne, j’ai décidé de préparer ce court message que chacun d’entre vous pourra utiliser selon ses besoins.
Les choses les plus importantes que je dois évoquer sont les suivantes.
Depuis quatre années incomplètes de son gouvernement, le régime de M. Ianoukovytch a mené le pays jusqu’à un niveau de tension extrême. Encore pire, il s’est lui-même enfermé dans une impasse où il doit se maintenir au pouvoir pour toujours et par tous les moyens. Sinon, il lui incombera une sévère responsabilité criminelle. Les proportions de tout ce qui est détourné et usurpé outrepasse les limites de la cupidité humaine.
Pour le troisième mois d’affilée, l’unique réponse dont use ce régime envers les manifestants est la violence. De plus, cette violence est croissante et revêt de plusieurs aspects : les attaques des unités spéciales de police sur Maïdan s’associent aux traques individuelles des activistes de l’opposition et des simples participants aux manifestations (la filature, le tabassage, la mise à feu des voitures et des maisons, l’intrusion dans les domiciles, les arrestations, les procès à la chaîne).
Le mot clé est l’intimidation. Puisque cela ne fonctionne pas et que les gens manifestent encore plus massivement, le pouvoir applique des répressions de plus en plus impitoyables.
Le 16 janvier, le régime a crée le « Cadre légal » qui est censé les légitimer. Ce jour là, les députés parlementaires entièrement subordonnés au président ont voté en quelques minutes et en totale violation du règlement, de l’ordre du jour, de la procédure de vote et surtout de la Constitution (votes à mains levées!), toute une série de lois qui établissent concrètement la dictature dans le pays et l’état d’urgence sans même l’annoncer.
Par exemple, moi-même, en écrivant et en mettant en circulation ces lignes, je pourrais déjà être accusé selon quelques articles de « diffamation », « provocation » etc.
Bref, si on reconnait ces « lois », il convient de considérer qu’en Ukraine, tout ce qui n’est pas autorisé par le pouvoir, est interdit. Tandis que le pouvoir n’autorise qu’une seule chose, son propre intérêt.
En contestant ce genre de « lois », la société ukrainienne s’est mobilisée une énième fois le 19 janvier pour défendre la cause de son futur.
Aujourd’hui, dans les journaux télévisés, vous pouvez voir des images de manifestants, portant des casques divers, des masques aux visages, parfois, tenant des bâtons de bois en mains. Ne croyez pas que se sont des « extrémistes », des « provocateurs » ou des « radicaux de droite ». Moi-même et mes amis rejoignons en ce moment les manifestations équipés ainsi. En ce sens, ma femme, ma fille, nos amis et moi même, sommes actuellement des « extrémistes ». Nous n’avons pas d’autre choix : nous protégeons nos vies et notre santé ainsi que celles de nos proches.
Les combattants des unités spéciales de police tirent sur nous, nos amis sont tués par leurs snipers.
Le nombre de manifestants tués uniquement dans le quartier gouvernemental ces deux derniers jours, selon des sources diverses, atteint 5-7 personnes. Le nombre de personnes portées disparues à Kyïv est de l’ordre de dizaines de personnes.
Nous ne pouvons pas arrêter de manifester car cela voudra dire que nous sommes d’accord avec le fait de vivre dans un pays qui a la forme d’une prison à vie.
La jeune génération des Ukrainiens qui ont grandi et qui se sont formés dans les années post-soviétiques, n’admet aucune dictature. Si la dictature gagne, l’Europe se verrait obligée de considérer la perspective d’une Corée du Nord à l’est de sa frontière, et selon les estimations diverses, de 5 à 10 millions de réfugiés. Je ne veux pas vous faire peur.
Notre révolution est celle des jeunes. Le pouvoir mène sa guerre non-déclarée tout d’abord contre eux. A la tombée de la nuit, des groupements inconnus, « des gens en civil », commencent à circuler dans Kyïv. Ils capturent principalement les jeunes, surtout ceux qui portent les symboles du Maïdan et de l’Union Européenne. Ils les enlèvent, les amènent dans les bois, les déshabillent et les torturent dans le froid glacial. D’une façon étrange, ce sont les jeunes artistes, acteurs, peintres, poètes qui sont le plus souvent victimes de ces détentions.
On a l’impression qu’une espèce « d’escadron de la mort » est admis dans le pays et qu’il a pour but de détruire tout ce qui s’y trouve de meilleur.
Un détail caractéristique de plus : dans les hôpitaux de Kyïv, les forces de police dressent des embuscades contre les manifestants blessés, ils les capturent et (je répète, blessés !) les amènent dans une direction inconnue pour les interroger.
Il est devenu extrêmement dangereux, même pour de simples passants, touchés par un débris de grenade policière en caoutchouc, de s’adresser à l’hôpital. Les médecins écartent les bras dans un geste d’impuissance et transmettent les patients dans les mains des soi-disant « protecteurs de la loi ».
Voici le bilan : des crimes contre l’humanité sont commis en Ukraine, le pouvoir actuel en est responsable. S’il y a réellement de quelconques extrémistes dans cette situation, ça sera la direction supérieure du pays.
En ce qui concerne vos deux questions traditionnellement les plus difficiles pour moi : je ne sais pas ce qui se passera par la suite. De même, je ne sais pas ce que vous pouvez faire pour nous maintenant. Cependant, selon vos possibilités et vos contacts vous pouvez faire circuler mon message et compatir avec nous. Pensez à nous. Nous gagnerons dans tous les cas, peu importe leur rage. Aujourd’hui, le peuple ukrainien défend, sans exagérer, corps et âme les valeurs européennes d’une société libre et juste.
J’espère de tout mon cœur que vous saurez estimer cela à sa juste valeur.
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Sources:
http://www.theguardian.com/books/
http://www.actualitte.com/international/
http://commons.wikimedia.org/wiki