Serhiy Jadan, La Route du Donbass

Jadan La route du Donbass - J'aime l'Ukraine
Jadan La route du Donbass – J’aime l’Ukraine

La Route du Donbass de Serhiy Jadan.

La Route du Donbass (traduction d’Iryna Dmytrychyn, Éditions Noir sur Blanc, 17/10/2013, 400 p., 23€)  est la première traduction du roman Vorochilovgrad (en ukrainien) de Serhiy Jadan, poète, romancier, essayiste et traducteur (notamment, Paul Celan ou Charles Bukowski), mais aussi chanteur de rock, il organise des festivals de musique, de littérature et de réflexion politique.

Donbass, l’est ukrainien, sujet sensible de nos jours. Ecrit en 2010, le roman nous fait voyager à travers l’histoire du Donbass des temps soviétiques à nos jours. Nos jours sanglants de l’année 2014 en Ukraine. Car La Route, c’est la mentalité de zombies de l’URSS, c’est leur peur d’aller en avant et changer leur vie par crainte de perdre le confort acquis primitif. C’est les règles non écrites, les règles du pouvoir du plus fort (eh oui, c’est le plus fort, le plus grand, le plus riche, le plus odieux et le plus brutal qui gagne). « Et plus tu pousses vers l’est, plus tu es saisi d’angoisse. Et lorsque tu te retrouves enfin ici […], la peur t’étreint, car ici […], il suffit de s’éloigner de trois cents mètres de la voie ferrée, et toutes tes  idées sur la guerre, l’Europe et le paysage en tant que tels s’achèvent, et commence un vide infini, dépourvu de sens, de forme et de sous-entendu, un authentique vide où on ne peut se raccrocher à rien ».
Et où en sont les gens ordinaires qui ont le minimum de culture et du sens commun pour se rendre compte du has-been de cette société tenue par des mafieux de maïs? « Je crois que vos problèmes viennent du fait que vous vous accrochez trop à ces endroits. Vous vous mettez en tête que l’essentiel est de rester ici, que le plus important est ne pas faire un seul pas en arrière, et vous vous accrochez à votre vide ».

Vorochilovgrad, ville qui n’existe plus, l’URSS, pays qui n’existe plus. Jadan est né dans une ville et  un pays qui sont disparus des cartes du monde, le chemin et le retour vers les sources de Guerman est une sorte de quête, de retour en arrière pour mieux comprendre ce passé mouvementé et essayer de le corriger, peut-être. « C’était étrange, tout avait l’air de se répéter, de revenir en arrière, en arrière vers nulle part, en arrière dans le vide ». Et sur quoi Olga répond plus tard:  » Peut-être que ces images sont mon vrai passé. Quelque chose dont on m’a privée et qu’on m’oblige maintenant à oublier. Mais je n’oublie pas, parce qu’en réalité c’est une partie de moi-même. Peut-être même la meilleure ».

C’est aussi un roman sur la route des hommes qui cherchent la vérité, la justice, l’amour, solitaires sans attaches, sportifs, avec quelques défauts dans le passé, mais romantiques finalement, car qu’est-ce qu’il y de plus romantique qu’une vie dans une ville perdue? « D’une manière ou d’une autre nous empruntons nos propres itinéraires, nous retrouvant dans des endroits inconnus, pénétrant derrière les coulisses de notre propre expérience, et tous ceux que nous avons croisés demeurent dans notre mémoire […] ».

C’est une histoire pleine de traditions locales pot-pourri, bricolées et second-hand : mariage, enterrement, passage du tribu mongol qui avance vers l’ouest. Et tout cela dans l’air chaud et étouffant de l’été… C’est aussi ce langage masculin, tranchant, mais mélodieux, juste et avec cette pointe d’humour nécessaire pour rester sur la route sans se préoccuper de la vitesse.

Et puis, le gaz, le maïs, le tchernozem, toutes les richesses de la région sont opposées à la mauvaise utilisation de sorte que l’air en devient lourd, lourd au premier degré, lourd  comme si on pouvait ressentir la respiration, les cris de contestation à jamais noyés, les toiles d’araignées envahissantes, les ombres, le brouillard à couper au couteau pour cacher des crimes.

Et en rappel avec l’Euromaïdan actuel (il est possible que nous sommes tous influencés par ces événements, mais l’allégorie est tellement alléchante), l’auteur prédit presque l’inévitable issu de ce crescendo de non-dits et de patience du peuple : « La voix du sang est plus puissante que la voix du bon sens […]. Et c’est bien ce qui est arrivé le lendemain, lorsque […] tous ceux qu’il connaissait depuis l’enfance, se sont extirpés de leurs tanières […], lorsque tout le monde est venu soutenir les siens. »

Et pourquoi ne pas suivre les paroles du prêtre dont la voix n’était pas du tout prédestinée à prêcher la bonne parole, mais qui a puisé dans ses forces pour pouvoir aider les autres?:  « Mais vous vous livrez une guerre sans comprendre l’essentiel, qu’il n’y a pas d’ennemi parmi vous. Ne vous montez pas les uns contre les autres, on vous oblige à vous affrontez, vous affaiblissant et vous rendant vulnérables. Car tant que vous êtes unis, vous n’avez rien à craindre. »

Finalement, ces paroles des héros de Serhiy Jadan sont actuels aujourd’hui, il y a quelques années et il est bien probable qu’ils les seront depuis quelques temps encore. L’écrivain lui-même a été agressé à Kharkiv au début du mois pour son engagement lors d’une manifestation de Maïdan contre le pouvoir en place. Donbass, go west! La route n’est pas si difficile, il faut juste choisir de bons compagnons…

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Photo: Erika D
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